CHANTAL RAYES / SAO PAULO / publié par LIBERATION.FR
L’héritière de Lula est assurée d’être élue dimanche, mais au terme d’une campagne décevante.
Ce ne sera peut-être pas la «raclée» électorale promise par le président Lula. Mais sa dauphine et ex-chef de cabinet, Dilma Rousseff, candidate du Parti des travailleurs (PT, gauche), est assurée de se faire élire ce dimanche à la tête du Brésil. Ancienne guérillera du temps de la dictature militaire, cette technocrate qui n’avait jamais disputé jusqu’ici la moindre élection devance largement José Serra, son adversaire à la longue carrière politique comme parlementaire, ministre, maire de São Paulo, puis gouverneur de l’Etat éponyme.
«Dilma», comme on l’appelle, est créditée de 49 à 52% des intentions de vote, selon les sondages, contre 38 à 40% pour Serra. L’élection présidentielle n’aura pas été la simple formalité que laissait présager la popularité inégalée de Lula (plus de 80% d’opinions favorables). «Beaucoup aiment le Président mais pas sa candidate, résume le politologue Jairo Nicolau. Dilma n’inspire ni confiance ni sympathie. Mais Lula lui-même n’a jamais été élu au premier tour. Il y a encore une forte résistance à la gauche.»
Ballottage. La candidate du PT est certes arrivée en tête du premier tour, le 3 octobre, avec 47% des voix (14 points d’avance sur Serra). Mais la surprise est venue de la troisième postulante, l’écologiste Marina Silva, une déçue du «lulisme» qui a raflé près de 20% des suffrages. Cette ancienne femme de ménage connue pour son intégrité et son combat pour l’Amazonie est la digne héritière du Lula d’avant, pas du manœuvrier qu’il est devenu. Elle a séduit les couches moyennes, sensibles à la cause écologique et lasses de la corruption. D’autant qu’à la veille du scrutin, un scandale de trafic d’influence est venu mettre en cause l’ex-bras droit de Dilma Rousseff, qui lui a succédé au poste de chef de cabinet de Lula.
La mise en ballottage de la candidate du PT l’a obligée à sortir un peu de l’ombre de son mentor. José Serra a obtenu pour sa part un sursis. Le candidat de l’opposition de centre droit s’est même pris à croire à un renversement de tendance. C’est sur lui en effet que devrait se reporter le gros des 20 millions de voix de Marina Silva. Il y a dix jours, l’écart avec sa rivale n’était plus que de cinq points, selon certains sondages.
Mais Dilma a regagné du terrain. La polémique sur l’avortement, qui l’a mise sur la défensive, est en effet retombée. Dans un Brésil croyant et conservateur, ses prises de position en faveur de la dépénalisation de l’IVG sont impopulaires et ont déchaîné contre elle une partie du clergé catholique et évangéliste. La candidate a dû s’engager par écrit à ne pas prendre l’initiative d’un amendement de la législation sur l’avortement si elle est élue. José Serra, qui l’accusait d’avoir «changé d’avis pour des raisons électoralistes», a lui-même abandonné ce filon quand la presse a révélé que sa propre épouse s’était fait avorter.
Ainsi, le bien-être social qui a marqué les deux mandats de Lula – en huit ans, 21 millions de Brésiliens ont quitté la misère tandis que 29 millions sont entrés dans la classe moyenne – redevient le facteur déterminant du scrutin. Du moins dans le nord-est déshérité, où Dilma a 37 points d’avance sur José Serra… contre 4 seulement dans le sud-est prospère, premier collège électoral.
A vrai dire, l’un et l’autre manquent de charisme et ne suscitent pas l’enthousiasme. Dilma a pour elle le désir de continuité de la majorité et Serra, son expérience. Le candidat de l’opposition serait «le mieux préparé pour la fonction». Il promet de maintenir les politiques sociales de Lula s’il est élu, mais critique le «noyautage de l’Etat par le PT». Pour le reste, la campagne n’aura pas beaucoup éclairé les électeurs. Aucun des deux candidats n’a évoqué les grands enjeux comme les mesures à prendre pour maintenir le rythme de la croissance (7% prévus cette année) ou la refonte d’une fiscalité qui pèse lourdement sur les pauvres.
Retenue. Le chef de l’Etat sortant, pour sa part, ne sort pas grandi de la campagne. Il s’est investi outre mesure auprès de sa protégée, au mépris de la retenue qui sied à sa fonction. Si Dilma l’emporte, quel sera le rôle de Lula ? Sera-t-il un président de l’ombre pour le tandem Medvedev-Poutine en Russie ? Certains le croient. D’autres craignent déjà un enracinement du PT au pouvoir à la manière du Parti révolutionnaire institutionnel au Mexique. On prête en effet à Lula, à qui la Constitution interdisait de briguer un troisième mandat consécutif, l’intention de revenir aux affaires en 2014.
Étiquettes : Bresil, Lula, Monde