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EXPO : Louise Bourgeois, éclairs d’«Eugénie»

10 Jan

A Paris, la plasticienne disparue l’an dernier fait l’objet d’une expo autour de sa série sur l’héroïne balzacienne Eugénie Grandet.

«J’aime cette histoire, elle aurait pu être celle de ma vie.» Tels sont les mots qu’employa Louise Bourgeois (1911-2010) pour évoquer sa connivence avec l’héroïne balzacienne par excellence, triste Saumuroise dont la vie n’est qu’attente et déception, Eugénie Grandet. On rapproche à première vue difficilement l’enfermement cruel de Mlle Grandet, qui ne quitta jamais son village de province, et l’existence de la plasticienne dont les œuvres sont mondialement connues et qui passa sa vie entre Paris et New York où elle mourut le 31 mai dernier. Pourtant, l’exposition proposée depuis début novembre à la Maison de Balzac (Paris XVIe) nous montre que l’identification de sa propre condition de femme à la solitude du personnage d’Eugénie est totale et crédible.

Aquarelles. A travers un trousseau de jeune fille qu’on aurait retrouvé au fond d’une poussiéreuse armoire familiale, fait de chiffons brodés d’initiales, de perles et de fausses fleurs, Louise Bourgeois retrouve les racines d’une mère tisserande et glorifie la douceur désuète d’un quotidien inlassablement répété, celui d’une jeune fille qui «passe sa vie à raccommoder des torchons».

Ponctuée par des extraits de l’œuvre publiée en 1833 et dont Bourgeois n’a jamais souhaité s’éloigner, l’exposition, située dans la maison même de l’écrivain, nous replonge dans l’incomparable beauté du roman dont elle fournit un éclairage nouveau. Loin de plaquer sur l’œuvre une interprétation univoque, Louise Bourgeois se livre aussi bien à la célébration nostalgique de la chaleur du foyer, dont elle regrette la quiétude et l’humilité des tâches accomplies, qu’à la violente dénonciation de la frustration liée à la condition de jeune fille par une série d’aquarelles situées en seconde partie. Elle y déforme le corps féminin, prisonnier de liens convulsivement tracés, imposés par soi-même et par l’autre, un père dont la tyrannie et l’avarice dépassent de loin celles d’Harpagon. Le fœtus peint dans un ventre rouge et son horrible expression de douleur évoquent l’impossibilité de se réaliser, l’insupportable avortement du rêve enfoui qui hurlait d’impatience – celui que dut subir Eugénie Grandet lorsqu’elle apprit après dix ans que son cousin Charles, seul amour qu’elle connut, ne reviendrait jamais pour l’épouser.

Emprise. La rassurante douceur de l’isolement devient donc flétrissement et solitude, à mesure que le temps passe et ramène chaque rêverie d’adolescente au rang d’illusion irrémédiablement atrophiée. Le personnage d’Eugénie est pour Louise Bourgeois «une femme qui n’a jamais l’occasion d’être une femme» – elle était pour son créateur celle qui, «faite pour être magnifiquement épouse et mère, n’a ni mari, ni enfants, ni famille». Pour autant, ayant su se défaire de l’emprise de son père et fuir un milieu qui ne lui était guère plus favorable que celui dans lequel Balzac plaça son héroïne, l’artiste semble ici exorciser les démons d’une jeunesse angoissée passée dans la constante appréhension du pire.

EUGÉNIE ADDA / 10 janvier 2011 / NEXT

Louise Bourgeois Moi, Eugénie Grandet… Maison de Balzac, 47, rue Raynouard, 75016. Tlj sauf lundi de 10 à 18 heures. Jusqu’au 6 février. Rens. : 01 55 74 41 80.

EXPO : Les mots magiques des Egyptiens pour l’éternité

12 Nov

C’est une grande première. Une exposition inédite par la fragilité des documents jamais montrés et par leur quantité. Il s’agit de ce qu’il est convenu d’appeler le Livre de la mort de l’ancienne Egypte, des métrages de rouleaux de papyrus ayant souvent plus de 3 000 ans et en parfait état. La plupart de ces manuscrits millénaires proviennent du British Museum, qui en conserve le plus grand nombre et les présente à Londres, jusqu’au 6 mars 2011, dans la rotonde de sa bibliothèque.

Déposés dans les sarcophages, aux côtés des momies, à l’abri de la lumière et dans l’air sec du désert, ces textes sacrés qui accompagnent le voyage dans l’au-delà, souvent richement illustrés, ont conservé toute leur fraîcheur. Les couleurs ont gardé l’éclat d’origine, les blancs, rouges, bleus, bruns, leur densité. Les hiéroglyphes ont la régularité du trait au carbone des scribes de haut vol.

Cette précieuse BD sur papyrus apparaît au XVIIe siècle avant J.-C., sorte d’antisèche du défunt qui contient les formules magiques à connaître pour s’assurer de la vie éternelle. Jusque-là, elles étaient peintes sur les coffres de bois des cercueils, gravées sur les stèles de pierre, écrites sur les bandelettes des momies, recouvraient les murs des tombeaux des pharaons et des dignitaires de la vallée des Morts en Haute-Egypte.

«  »Le Livre de la mort » est un guide pour le nouveau monde, indique John H. Taylor, conservateur au British Museum et commissaire de l’exposition. Nous avons cherché à recréer, pour le visiteur, le voyage qui conduit le défunt jusqu’à l’entrée du paradis.Les Egyptiens croient que l’esprit du mort, libéré, voyage vers une nouvelle vie, une vie future. »

De la même manière que le soleil disparaît pour renaître à l’aube, que la fleur meurt en hiver pour s’épanouir à nouveau au printemps, que le Nil est en crue chaque année, l’Egyptien est convaincu que l’homme, partie du cosmos, a lui aussi accès au cycle éternel. Après sa mort, le défunt entreprend un périlleux voyage au royaume des dieux. Il doit exécuter de complexes rituels, résister aux bêtes féroces, répondre aux questions pièges et connaître quantité de formules magiques pour atteindre l’Eden. Le Livre de la mort est une compilation de paroles sacrées pour toutes circonstances.

La réussite du voyage céleste reste une question d’argent. « Si vous êtes riche, et détenez ce livre, c’est plus facile et plus rapide, vous connaissez votre texte et ce qu’il faut dire », convient John H. Taylor. Le plus long rouleau connu, de 37 mètres, exposé pour la première fois, est celui de Nesitanebisheru, fille du grand prêtre d’Amun (990-969 av. J.-C.), une des femmes les plus importantes d’Egypte. Il provient des tombeaux royaux de Deir El-Bahari.

Le plus richement illustré est celui d’Ani (1275 av. J.-C.), scribe du pharaon. Il relate la pesée du coeur par le tribunal céleste, qui sera déterminante. Anubis, dieu à tête de chacal, ajuste la plume qui fait contrepoids. Le « bâ », l’esprit d’Ani, oiseau à tête humaine, surveille la scène. La balance doit être en équilibre pour prouver la pureté du coeur. Ce jugement marque la fin de l’existence d’Ani et le commencement de sa vie future.

La muséographie met en scène les étapes successives imposées au défunt, depuis sa mort jusqu’au « Champ de roseaux », paradis de l’Egyptien. Dans la pénombre des salles, objets et textes racontent par le menu la momification. Jusqu’à l’image scannée d’une momie dont on constate qu’elle a gardé sur elle tous ses bijoux et gris-gris. On suit la mise au tombeau, la libération du bâ, la réouverture de la bouche, des yeux, du nez du défunt préparé pour l’expédition au royaume des dieux.

La momie de Katebet (1300-1275 av. J.-C.) est là, intacte, dans son tombeau reconstitué, à côté des quatre jarres qui renferment ses entrailles. Elle est emmitouflée dans ses bandelettes de coton, les bras croisés ; son masque d’or a la beauté régulière de son visage. Le scarabée noir, porté en amulette pour son voyage dans l’au-delà, est le symbole de l’éternité.

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« Ancient Egyptian Book of the Dead ». British Museum, Great Russell Street, Londres WC1B 3DG. Jusqu’au 6 mars 2011. De 10 heures à 17 h 30 ; jusqu’à 20 h 30 les jeudis et vendredis. 12 £ ; entrée libre jusqu’à 16 ans. Catalogue, éd. The British Museum, 320 p., 30 £. Sur le Web : Britishmuseum.org.

Florence Evin
le Monde – Article paru dans l’édition du 09.11.10

Avignon : Un Barcelò très fringuant !

18 Oct


Publié par Eleonor Zastavia Webmag
Exposition Barcelò à la Collection Lambert – Avignon jusqu’au 7 novembre 2010

Miquel Barcelò est un garçon-voyageur, dont les incursions dans de lointaines et savoureuses contrées ont toujours interrogé le travail. En Inde, en Pays Dogon, partout le Majorquin a posé ses bagages quelques temps, quelques années parfois, avec pour visée la découverte d’une culture exogène, puis la réappropriation de ses signes dans sa propre peinture. Evidemment, la tentation de l’exotisme, dans une telle démarche, peut représenter un écueil rédhibitoire. Mais Barcelò est un garçon plein de ressources, et, surtout, un peintre intelligent. Depuis ses premières grandes toiles qui l’on fait découvrir en Europe au début des 80’s, l’artiste n’a eu de cesse de ressourcer son oeuvre dans ces cultures lumineuses, telle celle du Pays Dogon, dont le Mystère et la profusion des signes, tellement étrangers à notre propre culture, est une véritable merveille pour ceux qui s’en approchent.

Cette symbolique quasi-chamanique, qui hante le récit animiste Dogon et qui dit si bien le monde, le peintre a su en décrypter les sources et les énergies, en multiplier les résonances. Ainsi de cette série de grands tableaux « Africains », où la sur-matiération de la peinture recèle de petits trésors iconiques, grenades éclatées, personnages mystérieux, scènes de chasse ou de cueillette, tout un panthéon Dogon, aux animaux irrévérencieux et aux humains souriant à la vie, tous éléments solidaires de cette cosmogonie. Le traitement pictural vigoureux, tout en empâtements, raclures, vagues telluriques de pigments crevant à la surface du tableau… nous rappelle que le Peintre est un artiste physique, qui aime se coltiner la matière lorsqu’elle résiste, qui adore se confronter à des surfaces impossibles, avec toute sa rage et sa très grande habileté.

L’engagement physique, donc, comme dans cette fameuse performance créée en 2006 avec Josef Nadj pour le Festival d’Avignon, où le peintre et le chorégraphe se défiaient dans un maelström de terre glaise, pour écrire une oeuvre picturale unique, d’une énergie diabolique… Ou encore lorsqu’il s’attelle à ces grandes sculptures protéiformes, ces animaux endiablés, boucs, ânes, singes… ou éléphant, comme la superbe, magistrale sculpture qui trône fichée sur sa trompe sur la place du Palais des Papes. Car, Barcelò est également un sculpteur, et quel sculpteur ! Suivant en cela les traces de son illustre prédécesseur, son compatriote Pablo Picasso, Barcelò crée et remixe un bestiaire impressionnant de brutalité et de primitivisme. Ses oeuvres de glaise, de plâtre, de bronze disent beaucoup de sa Peinture, mais aussi de son implication d’homme dans la grande roue universelle. Elles en sont les scories et les ponctuations. Et tout ceci se retrouve dans la sédimentation hallucinée de l’oeuvre pictural, tout habité de cette grande rage devant l’Eternel, et pourtant célant cette incroyable douceur qui transfigure le tableau. Une expérience quasi-religieuse, mystique, pourtant résurgente d’une matérialité sans limite.

Et que dire ainsi de cette obsession marine, ces grands fonds, ces mers déchaînées ou simplement vibrantes, ce bestiaire de poulpes, de pieuvres et de calamars géants ? Très forte, très brute « Marejadilla » de 2002, mer-univers verdâtre, glauque, au sens premier du terme, dont la force tient justement à son apparente pesanteur, et à ce qu’elle en retient dans ses fonds. Une présence lourde pour cette oeuvre monumentale qui est donnée à voir dans les dernières salles de l’exposition. Et de ces très primitifs portraits à l’eau de javel et kaolin, cette argile dont on fait les porcelaines, creusés dans la masse noire et sans fond du fond, renvoyant ces visages à la tradition des gargouilles, et à l’iconographie religieuse de la démonologie. Quelque chose que le Majorquin doit bien connaître, les chapelles et églises de son pays étant farcies de ces représentations médiévales terrifiantes…

Il faudrait encore citer quelques petites perles, rencontrées tout au fil de l’exposition. Ces deux têtes, par exemple, deux « Pape Fang », sculptures jumelles d’une expressivité très africaine, et qui en même temps nous évoquent clairement Picasso. Ou encore ce Crâne en Rouge, vanité de 2007 remarquable. Beaucoup de céramiques, également, autre héritage picassien, aux formes anthropomorphiques, ou simplement stylisées. Bref, un éventail conséquent des dix dernières années de son travail, dont la très grande vitalité éblouit.

MR