L’article 32 Ter A fait l’unanimité… contre lui. Associations, militants, juristes… Tous tirent la sonnette d’alarme sur une loi qui use de l’arbitraire et de l’exception pour s’attaquer à la marge et aux plus démunis.
« Vivre dans des camions, yourtes, tipis, roulottes, tipis, cabanes… deviendra illicite. Le gouvernement demande la pénalisation et l’expulsion expéditive et arbitraire de squatters, de bidonvilles ou autres habitats choisis. Et cette loi va passer parce que personne n’est au courant. Renseignez-vous ! » C’est via internet que s’est organisée l’opposition à l’article 32 Ter A contenu dans la Loppsi II visant à donner tous pouvoirs aux préfets pour organiser dans l’urgence et sans la case justice, les expulsions de tout ce qui n’est pas habitat conventionnel. Sur la toile, des lettres type à envoyer aux députés pour demander l’abrogation de cet article ont déjà fait l’objet de plusieurs centaines de courriels.
Un fourre-tout de façade inapplicable
« C’est un outil supplémentaire pour organiser l’expulsion des Roms sans se faire taxer de racisme », analyse Philippe Dieudonné de la Ligne des droits de l’Homme Marseille. « Le fourre-tout de façade est inapplicable. On ne va pas virer toutes les yourtes de France ! En revanche, il est quasiment certain que cela va cibler prioritairement les Roms. Au lieu de régler la situation en faisant respecter la loi de Louis Besson de 2000 sur les aires d’accueil – la préfecture des Bouches-du-Rhône ayant déjà été condamnée à plusieurs reprises pour non application de cette loi – en reconnaissant la caravane comme un habitat à part entière pouvant bénéficier des mêmes droits que les autres, on sort cette loi. Cela va permettre d’em… tout le monde, de continuer tous les amalgames entre voyageurs, pour la plupart Français, Roms originaires de Bulgarie ou de Roumanie et Roms extra-communautaires. On met tout le monde dans le même panier pour éviter de respecter les droits les plus fondamentaux ».
« Ce n’est pas un texte sur des questions de logement mais sur les libertés fondamentales », confirme Fathi Bouaroua, directeur régional de la Fondation Abbé Pierre, « sur la possibilité de choisir sa vie que l’on entend bien enlever aux plus démunis. En fait, l’Etat organise la chasse de ceux qui sont à la marge, même s’ils le sont le plus souvent par défaut ». Et d’illustrer son propos par l’exemple récent des sinistrés des inondations du Var. « On a rencontré un nombre très important de personnes vivant dans des mobile homes. Ce ne sont pas des Roms. Mais, pour vivre dans le Var quand on est ouvrier ou saisonnier, on ne peut trouver qu’un mobile home dans une zone inondable. Et sans que personne ne dise rien… Jusqu’au moment où l’on voudra vous expulser ». Pour ce militant historique, l’heure est grave : « En s’attaquant aux pauvres sur leur droit en utilisant la répression, on glisse vers une segmentation de la société. Il y aura ceux qui auront des droits et ceux qui n’en auront pas et ces derniers seront criminalisés. Pire, comme on l’a déjà vu pour les sans papiers, cette loi organise aussi la criminalisation de ceux qui sont solidaires ». Et de s’en référer aux lois et obligations jamais respectées. « Si le Droit au logement opposable (DALO) fonctionnait correctement, si les mairies construisaient les logements sociaux dont on a besoin, si les systèmes d’attribution n’étaient pas pipés… On n’aurait pas besoin d’organiser solidairement un DALO de fait via les réquisitions ».
Le squat, un outil politique
Un point qui n’a pas échappé à Charles Hoareau, syndicaliste CGT et militant à Rouge Vif. En prévoyant peine d’emprisonnement et amende pour les squats, « cette loi est là pour contrer les militants du droit au logement ». Or, le squat peut s’avérer un outil politique précieux quand un rapport de force est nécessaire pour faire… appliquer le droit. « La CGT Chômeurs a soutenu 485 squats sur Marseille. Tous ont eu lieu après que toutes les voies légales aient été utilisées, toutes les demandes officielles réalisées. Mais il n’y a dans notre système, aucune place pour l’urgence. Mais ce qui est important, c’est que dans 480 cas, le squat s’est transformé en occupation légale sur le site. La preuve que la solution existait ». « Si l’Etat ne dispose pas de suffisamment de logements sociaux, d’assez de places en aires d’accueil, je crains que cette loi n’empêche les personnes de faire valoir leur droit », apprécie pour sa part Me Bourglan. « On sait que les procédures préfectorales sont plus expéditives que celles du tribunal judiciaire. Dans l’urgence, pourra-t-on faire respecter le droit au logement, qui est pourtant un principe à valeur constitutionnelle, et qui s’applique aux logements en dur comme aux autres ? » Et de mentionner, elle aussi, le DALO et la loi de 2000 sur les aires d’accueil pour gens du voyage : « Au lieu de faire respecter les lois existantes, on crée des procédures d’exception qui permette à l’Etat de se dédouaner de ses obligations. On souffle le chaud et le froid, mais le froid est souvent pour les plus démunis ».
Le droit à vivre autrement
En 2005 était créé Halem – Habitants de logements éphémères ou mobiles – qui depuis s’intéresse aux habitats alternatifs, « par conviction écologique ou par difficulté de se loger… ou les deux », précise Marie-Hélène, membre du réseau. Aujourd’hui, Halem a rejoint, lui aussi, le combat anti-Article 32 ter A, car « ces habitats, souvent légers, mobiles ou éphémères, respectueux de l’environnement, sont menacés par l’arbitraire de cet article ». Et de revendiquer la reconnaissance de ces habitats démontables, mobiles, réversibles… comme logements au même titre que le bâti conventionnel, « d’ajouter au droit au logement le droit de choisir son habitat », précise Marie-Hélène, « en respect des textes de loi qui pourtant prônent la diversité ».
Angélique Schaller / La Marseillaise / Publié le 14/12/2010
Titre original : « Organiser la chasse de ceux qui sont à la marge »