C’est un Davos de la culture et des médias où les décideurs viennent du monde entier, se reconnaissent et se font la bise. 400 personnes qui influent sur les industries culturelles, dont trois ministres français – Frédéric Mitterrand, Nathalie Kosciusko-Morizet et Christine Lagarde -, étaient réunies, du 4 au 6 novembre, dans le majestueux Palais des papes d’Avignon. Ils ont planché sur la question : est-ce que l’Internet et le numérique peuvent favoriser l’accès de chacun à la culture ?
A quinze minutes l’intervention, c’est plus le lieu de la synthèse, de l’autopromotion ou de la formule qui fait mouche que de la révélation. C’est aussi le règne du Powerpoint sur écran géant. Prenons Philippe Dauman, le PDG de Viacom. Ce bonhomme jovial règne sur un géant américain (Paramount, MTV, 140 chaînes de télévision, 40 000 salariés). Vendredi, il a branché Avignon sur Viacom, à coups de poncifs : « La technologie est-elle un bienfait ou une malédiction ? », « Facebook, en nombre d’abonnés, serait le troisième pays au monde », « on est passé d’une économie de l’industrie à une économie de la connaissance », « la génération qui a grandi en ligne s’envoie plus de 100 textos par jour », « la liberté, c’est le juste prix des choses ».
Et puis le cinéaste malien Souleymane Cissé, costume chocolat, a été invité à s’asseoir face à M. Dauman. L’auteur de Yeelen n’avait pas de Powerpoint. Il se demandait un peu ce qu’il faisait là : « Je me sens noyé », a-t-il dit. Il a évoqué son dernier film, tourné en numérique, « qui a émerveillé Bamako, ce fut un moment fort ». Et puis il a lancé : « Mais ce film, avant même d’être fini, était piraté et visible dans les rues, en cassette vidéo. »
Programmes ethniques
Ce qu’il n’a pas dit, c’est que son film Min Ye, dévoilé à Cannes en 2009, et qui traite de la polygamie, n’est pas sorti en salles. Ni en Europe ni ailleurs. Il l’a dit autrement : « Nous voulons ici la culture pour chacun. Pour moi, ça veut dire que la création de tous puisse circuler dans le monde entier. Internet est juste une technique. L’argent n’est qu’un moyen. Ce dont on a besoin, ce sont des salles en Afrique et des quotas ailleurs pour que nos films puissent être vus. Il faut que nos jeunes aient la possibilité d’être émerveillés par des films qu’on voit peu. Là, je peux au moins en débattre avec vous. En Afrique, c’est impossible. »
Maurice Lévy, président du directoire de Publicis et modérateur du débat, a salué « ce témoignage des tripes, du coeur et de l’expérience ». Mais comment faire dialoguer « le géant mondial et l’artiste » ? M. Cissé a lancé une question à M. Dauman : « Ça fait dix ans que je demande des quotas en Europe et personne ne m’écoute. Est-il possible de le faire aux Etats-Unis ? » Réponse du patron de Viacom : « Pas besoin, puisque nous avons une grande diversité de télévisions, des programmes ethniques, destinés à des segments précis de populations dans le monde. »
Michel Guerrin – LE MONDE – Article paru dans l’édition du 09.11.10