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Afghanistan / Ne sacrifiez pas les femmes !

3 Août

Les Etats-Unis et l’OTAN semblent privilégier une stratégie de réconciliation avec les talibans. Mais les femmes craignent un retour à une privation totale de leurs droits et alertent sur les menaces et meurtres commis dans les régions encore contrôlées par les rebelles.

29.07.2010 | Patrick Cockburn | The Independent
Cet article a été traduit et republié par Courrier International :

En Afghanistan, dans les zones tenues par les talibans, les femmes se disent à nouveau inquiétées par les rebelles. Elles reçoivent des lettres les menaçant de mort si elles continuent à exercer librement leur profession. Les défenseurs des droits de l’homme craignent qu’un accord avec les rebelles [tel celui évoqué lors de la Conférence internationale de Kaboul, qui s’est tenue le 20 juillet] ne sacrifie les droits des femmes du pays. Beaucoup pensent qu’elles seront à nouveau réduites à une condition proche de l’esclavage, comme entre 1996 et 2001, lorsque les talibans régnaient sur une grande partie du pays. La guerre se trouve aujourd’hui dans une impasse et les dirigeants afghans et étrangers préparent le terrain pour des pourparlers avec les talibans. Ils assurent que ceux-ci sont plus modérés et pragmatiques que ceux qui ont été chassés en 2001. Le général Graeme Lamb, à la tête du programme de désarmement des talibans, a déclaré : « Ces talibans sont des gens du coin. L’immense majorité d’entre eux combattent pour gagner leur vie et non pour des raisons idéologiques. »

Pourtant, ce que vivent les femmes dans les zones tenues par les talibans contredit l’idée que les rebelles d’aujourd’hui leur seraient moins hostiles que ceux d’antan. Selon un rapport inédit de Human Rights Watch (HRW), réalisé à partir d’entretiens menés avec 90 femmes dans quatre provinces du pays, les femmes de ces régions sont privées de tout droit. Intitulé « Le taliban à 10 dollars et les droits des femmes : les femmes afghanes et les risques de la réintégration et de la réconciliation », ce rapport publié le 13 juillet démonte le concept du « taliban à 10 dollars », qui ne combattrait que pour de l’argent. Cette idée est mise en avant par les Etats-Unis et l’OTAN afin de faire accepter plus facilement l’idée d’un partage du pouvoir avec les talibans aux opinions occidentales, qui s’étaient auparavant entendu dire qu’ils étaient l’ennemi à abattre.

Le 13 avril 2010, Hossai, 22 ans, qui travaillait au service d’une organisation américaine d’aide au développement, s’est fait tirer dessus alors qu’elle sortait du travail. Elle est morte le lendemain. Elle avait été menacée par les talibans la semaine précédente. Les menaces sont souvent formulées par écrit, dans des lettres qui sont déposées la nuit devant la porte de l’intéressée – les « lettres de nuit »– ou à la mosquée du coin. Peu après l’assassinat de Hossai, Nadia, embauchée par une ONG internationale, a reçu une lettre lui ordonnant de ne plus travailler pour des infidèles. « De même que nous avons tué Hossai hier, dont le nom était sur notre liste, ton nom et celui d’autres femmes sont sur notre liste », ajoutait le courrier. Fin 2009, dans la province de Kapissa, à l’est de Kaboul, les femmes ont reçu l’ordre de ne plus téléphoner aux stations de radio pour demander que soient diffusées leurs chansons préférées sous peine de se faire décapiter ou asperger d’acide. Les écoles de filles, qui avaient refait leur apparition après 2001, reçoivent une fois de plus l’ordre de fermer. Dans la province de Kunduz, dans le nord, le chef des talibans locaux a ordonné que les filles n’aillent plus à l’école après la puberté. Le rapport de HRW demande que les femmes soient impliquées dans les négociations avec les talibans pour pouvoir défendre leurs intérêts. On voit mal comment ce serait possible, déclare une députée : « Les talibans préfèrent laisser une femme mourir dans la rue plutôt que de lui permettre d’entrer dans un restaurant où des hommes sont attablés. Voilà le genre de personnages à qui nous avons affaire. »