LE COUTEAU DANS L’OS : la « Fabrique », future factory des désillusions

7 Oct

(Josef Nadj, Les Corbeaux. Festival d’Avignon 2010)
LE COUTEAU DANS L’OS, la rubrique d’Antonio Sanz.

En Espagnol, « ilusion » est le terme correspondant au Bonheur français. Intéressant rapprochement pour le sujet qui nous occupe aujourd’hui, cette fameuse « Fabrique » du Festival d’Avignon voulue par son couple directeur et par Marie-José Roig, soutenus par les collectivités et l’Etat.

De cette « Fabrique », l’on retiendra d’abord qu’elle a vocation d’occuper ce qui fut un collège public, en plein Montclar, et que l’on a détruit pour raison « de vétusté », sachant qu’ainsi, on privait tout un quartier d’un outil éducatif de proximité. Avec pour conséquences immédiates, la migration de nos valeureux collégiens de zone urbaine défavorisée dans des établissements avignonnais absolument ravis de les accueillir…
En lieu et place donc de cet équipement d’utilité publique, voilà qu »on » nous construit un atelier de création théâtrale destiné à des artistes estivaux dont on peut présager sans beaucoup se tromper qu’ils seront enchantés de devoir travailler en banlieue glauque, avec pour toile de fond les barres ignobles de ce no-man’s land avignonnais, désormais déserté du minimum d’animation collégienne.

Nous attendons avec gourmandise les premières « résidences » de ces athlètes de la culture étatique, lorsqu’ils se seront frottés à la nuit monclarienne, au sortir d’une séance de travail épuisante… Comment pourront-ils affronter la frustration légitime de gamins exclus doublement, par la ghettoisation forcée propre à cette ville coupée en deux, qui relègue à la périphérie ses populations « dérangeantes » (Maghrébins en quartiers Sud, Gitans en Courtine, etc.), et par le déni de leur droit à une scolarité accessible, dans leur propre périmètre de vie ?

Bon courage donc à nos artistes qui vont pouvoir goûter de près la « qualité » des quartiers de relégation avignonnais, avec la bénédiction de leur maire et de tous les décideurs, politiques et culturels, et ainsi enrichir leur pratique d’un contact viril avec une réalité dont, pour la plupart, ils sont largement ignorants. Si l’objectif de la « Fabrique » est d’initier une politique nouvelle de conflit inter-classes, alors gageons que ce pari est en voie de réussite absolue. Bon vent donc à nos futurs heureux bénéficiaires de ce dispositif décidément « novateur et original ».

Antonio Sanz